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La révocation du dirigeant de société : attention à ne pas tomber dans l’abus !

13 05 22
Laura Terdjman
Publication

La révocation des dirigeants de société est une source récurrente de contentieux.

Les dirigeants sont par principe librement révocables (on parle de révocabilité ad nutum), du moins dans la plupart des formes de sociétés. Toutefois, cette révocation ne doit en aucun cas être constitutive d’un abus, sous peine d’engager la responsabilité de la société. Elle doit en outre être justifiée dans certaines hypothèses.

1. LE PRINCIPE DE LA LIBRE REVOCABILITE DES DIRIGEANTS SOCIAUX OU REVOCATION AD NUTUM

La révocation des dirigeants sociaux est par principe libre. On parle de révocation ad nutum, qui signifie littéralement révocation “par un signe de tête“. Cela signifie que la révocation d’un dirigeant social peut être décidée à tout moment, sans préavis, sans indemnité et sans besoin de démontrer de justes motifs de révocation, tout en étant parfaitement valable.

Le principe de la libre révocation est d’ordre public dans de nombreuses sociétés : SA, SCA, SARL, SNC et sociétés civiles. Cela implique qu’il est interdit de déroger à ce principe par des clauses statutaires ou extrastatutaires contraires (elles seraient alors inapplicables).

Néanmoins, pour d’autres sociétés, dont la SAS est l’exemple parfait, ce principe n’est pas prévu par la loi et n’est donc pas d’ordre public : la société peut librement choisir le mode de révocation de ses dirigeants au sein des statuts. A noter qu’en cas de silence des statuts sur le mode de révocation des dirigeants de SAS, les juridictions appliquent par défaut le régime de la révocation ad nutum.

Lorsque la révocation ad nutum est d’ordre public, ou lorsqu’elle est prévue par les statuts, cela emporte plusieurs effets :

  • La révocation peut être votée valablement quand bien même elle n’est pas inscrite à l’ordre du jour (article L.225-105 C. com).
  • Les clauses contraires au principe de libre révocabilité sont réputées non écrites ou sanctionnées de nullité lorsque la révocation ad nutum est d’ordre public : article
    L. 225-47 du code de commerce pour les SA par exemple.
  • En cas de divergence entre la clause des statuts prévoyant la révocation ad nutum et une clause du pacte d’actionnaire en sens contraire (dans les sociétés où la révocation ad nutum n’est pas d’ordre public comme la SAS), c’est la clause des statuts prévoyant la libre révocabilité qui doit prévaloir. (CA Paris 2 octobre 2014, n°13-24889).

2. LA REVOCATION POUR JUSTES MOTIFS

Le principe de la libre révocabilité des dirigeants doit être limité en ce que dans certaines hypothèses, d’origine légale et/ou statutaire, la révocation du dirigeant doit néanmoins être justifiée.

Ainsi, doit être justifiée la révocation : du gérant de SNC (art. L.221-12 C. com), de SCS (art. L.222-2 C. com), de SARL (art. L.223-25 C. com), et du directeur général de SA, sauf si la direction générale est exercée par le président du conseil d’administration.

Il semble que ces dispositions ne soient pas d’ordre public, si bien que les statuts peuvent déroger à l’exigence de justes motifs de révocation. A l’inverse, pour les SAS par exemple, les statuts peuvent parfaitement soumettre la révocation du dirigeant à cette exigence.

Lorsque la révocation doit être justifiée au regard de la loi et/ou des statuts, la révocation qui interviendrait en l’absence de tels motifs peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du dirigeant (mais pas à l’annulation de la décision de révocation).

Le juste motif peut s’analyser en une faute de gestion du dirigeant mais peut aussi résulter du comportement du dirigeant qui nuirait à l’intérêt social. Les motifs les plus souvent invoqués justifiant de révoquer un dirigeant sont les suivants :

  • Mauvaise gestion de la société : gestion ruineuse, achats massifs de marchandises sans intérêt par exemple.
  • Manquement à une obligation légale ou statutaire du dirigeant : non-respect des procédures d’approbation annuelle des comptes par exemple (CA Paris 17 septembre 2013 n° 12/12567).
  • Divergence de vues, mésentente entre les associés et le dirigeant de nature à nuire à la société.

3. LA LIMITE A LA LIBERTE DE REVOCATION DU DIRIGEANT : LA REVOCATION ABUSIVE

Bien que la révocation soit par principe libre, et peu important qu’elle doive être justifiée ou non, elle ne doit en aucun cas être abusive : la révocation ne saurait être empreinte de déloyauté, être entourée de circonstances vexatoires ou injurieuses portant atteinte à l’honneur ou à la réputation du dirigeant, ou encore violer le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense.

La Cour de cassation retient classiquement la formule suivante : “Attendu que la révocation d’un directeur général peut intervenir à tout moment et n’est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à la réputation ou à l’honneur du dirigeant révoqué ou si elle a été décidée brutalement sans respecter le principe de la contradiction” (Cass, com, 3 janvier 1996, n° 94-10.765).

Dans de telles hypothèses, un abus dans la liberté de révoquer serait caractérisé et le dirigeant pourrait alors prétendre à l’octroi de dommages et intérêts en vue de réparer les préjudices subis. 

Attention, ce n’est pas la décision de révoquer qui est en elle-même abusive, car cela s’opposerait au principe de révocabilité ad nutum, mais ce sont les circonstances entourant la révocation qui peuvent être abusives.

Illustrations

Sont ainsi abusives les révocations ayant eu lieu dans les circonstances suivantes :

  • Circonstances vexatoires ou injurieuses portant atteinte à la réputation et à l’honorabilité du dirigeant :  le fait de demander au dirigeant de remettre les clés de l’entreprise dès la fin de l’assemblée l’ayant révoqué (Cass. com. 9 novembre 2020, n° 09-71.284) ; le fait de révoquer le dirigeant brutalement, au su et à la vue du personnel, en faisant appel à un huissier de justice et à la police et en l’ébruitant dans le milieu professionnel (CA Paris 13 octobre 2006, n° 05-23871) ou encore le fait d’interdire au dirigeant révoqué de se présenter dans l’entreprise (CA Paris, 2 octobre 2014, n° 13-24889).

En revanche, ne constituent pas des circonstances vexatoires un échange de propos désagréables au cours de l’assemblée ayant révoqué le dirigeant dès lors que ces propos n’ont pas dégénéré en dispute et qu’aucune publicité externe ne leur a donné un caractère diffamatoire (CA Rennes 25 février 1972) ou encore la communication de la société sur la révocation de son dirigeant.

– Non-respect du principe du contradictoire et des droits de la défense : la révocation revêt un caractère abusif lorsqu’elle a été décidée brutalement, sans que le dirigeant n’ait eu connaissance des motifs de sa révocation (Cass, Com, 14 mai 2013 n°11-22.845). De même, lorsque le dirigeant n’a pas été mis en mesure de présenter des observations sur sa révocation (Cass, com, 29 mars 2011 n°10-17.667) et de débattre contradictoirement.

Ainsi, il faut retenir que si la révocation est par principe libre, qu’elle peut être décidée même sans avoir été inscrite à l’ordre du jour, tout n’est pas permis, le principe du contradictoire devant toujours être respecté. Tel n’est pas le cas lorsque le dirigeant n’est pas convoqué à l’assemblée statuant sur sa révocation, n’a pas connaissance des motifs de sa révocation, ou n’est pas en mesure de présenter des observations.

4. OBTENIR LA NULLITE DE LA REVOCATION DU DIRIGEANT, EST-CE POSSIBLE ?

L’annulation de délibérations ayant statué sur la révocation du dirigeant est très rare en pratique, pour deux raisons.

D’une part, le dirigeant révoqué, désavoué par sa société souhaitera rarement être réintégré dans ses fonctions. Il aura davantage intérêt à agir sur le terrain de la responsabilité extracontractuelle pour tenter d’obtenir des dommages et intérêts – qui peuvent être conséquents – visant à réparer les préjudices résultant d’un éventuel abus dans sa révocation ou pour absence de justes motifs lorsque la révocation doit être justifiée. Il apparait qu’en pratique les dirigeants révoqués préfèrent nettement cette voie de l’indemnisation, plutôt que celle de l’annulation de la révocation (qui n’entrainerait d’ailleurs pas nécessairement rétablissement dans les fonctions).

D’autre part, aucun texte ne prévoit la sanction de la nullité pour une révocation qui n’aurait pas été prise conformément aux statuts de la société. Or, en droit des sociétés, la violation de clauses statutaires n’entraine pas nécessairement l’annulation des actes et délibérations pris en violation des statuts. Il semble, au regard de l’absence de jurisprudence rendue en la matière, que le non-respect d’une clause statutaire de révocation du dirigeant ne soit pas une cause de nullité en droit des sociétés.

Néanmoins, dans certaines affaires, la nullité de la révocation a pu être prononcée par certaines juridictions.

C’est le cas dans une affaire portée devant la Cour d’appel de Paris (CA Paris 2 octobre 2014, n°13-24889) où les juges ont annulé la révocation du dirigeant, dont les circonstances étaient abusives, et finalement prononcé la révocation judiciaire. Il s’agit toutefois d’un arrêt isolé, dont les faits d’espèce sont particuliers. La doctrine a critiqué cette décision dans la mesure où la révocation abusive n’ouvre droit, en principe, qu’à réparation par voie de dommages et intérêts. 

Il ne peut en outre être exclu qu’une délibération irrégulière ayant statué sur la révocation (prise par le mauvais organe, à des conditions de vote ne respectant pas les prescriptions légales ou statutaires, par exemple) puisse être annulée : mais il ne s’agirait pas ici de la sanction de la révocation en ce qu’elle est abusive ou infondée, mais plutôt de la sanction de l’inobservation d’autres règles du droit des sociétés dont le respect est requis à peine de nullité.

Enfin, dans un arrêt récent, la Cour d’appel de Paris a retenu le fondement de la fraude pour annuler la délibération ayant révoqué des dirigeants et prononcer leur rétablissement dans leurs fonctions (CA Paris, 31 mars 2022, n°21/02463). Dans cette affaire, la révocation des dirigeants avait été prise en violation de plusieurs dispositions statutaires et caractérisait l’existence d’une fraude commise au détriment des dirigeants. L’adage fraus omnia corrumpit (« la fraude corrompt tout ») trouve donc à s’appliquer en matière de révocation du dirigeant de société.

*avec la contribution de Yohan Chaussin